Pourquoi cet article ? J’avais tout simplement envie de faire partager mon expérience. Partager le fait que pour maîtriser un flux de production il faut avoir quelques connaissances pour ne pas « subir ». Bien que l’on subisse toujours un peu, ne serait ce que par ses choix.
Que de doutes ! Que de choix ! Que de nouveautés !
J’ai commencé il y a quarante ans par la photo que certains appellent encore traditionnelle. Qu’est ce que la tradition sinon que l’usage à un instant, mais c’est un autre débat.
Les odeurs, la lumière tamisée, le touché du papier, la magie liée à l’apparition de l’image, tout cela faisait que même une image sans trop d’intérêt en avait un.
Cette pratique uniquement en noir et blanc faisait que lorsque je regardais une scène je l’imaginais immédiatement en valeur de gris et en différence de contrastes. Chimiste de formation, la compréhension technique des actions des produits sur nos grains d’argent ne m’a pas posé de problème. Mais ça ne veut pas dire que ça a été facile et bref en termes d’apprentissage : l’appareil photo, l’optique, la sensibilité, les différentes possibilités de chimie et de papier pour un résultat donné, tout cela nécessite un grand nombre de connaissances et de vérification.
Je ne faisais que du noir & blanc. A force de pratique, dès la prise de vue j’imaginais le résultat en noir & blanc. Je voyais en noir & blanc tous les sujets dans mes viseurs.
Qu’est ce que la photo : un sujet et une manière de le raconter. Il faut que l’histoire soit lue immédiatement. Si on cherche, c’est foutu !
La couleur m’attirait un peu parce que notre environnement visuel ne se passe plus du support de la couleur.
La couleur m’attirait parce que cela m’ouvrait de nouvelle voies dans le traitement de mon sujet de prédilection : l’humain et je souhaitais chasser cette impression d’intemporalité laissée par le noir et blanc.
Mais lorsque j’ai voulu en faire dans les années 90, les labos de quartier livrant de la daube mal cuisinée m’ont dissuadé de tenter l’aventure. Je ne supporte pas la médiocrité technique. Car la technique, ça doit se maîtriser.
Et le numérique est arrivé, avec tous ses messages contradictoires, parfait, mauvais, facile, difficile, gratuit, cher, tout cela bien sûr en comparaison avec la photographie argentique. Un des messages disait que le N & B ce n’était pas bon en numérique.
J’ai attendu. J’ai regardé, comparé. Jusqu’à ce que différents tests et avis de professionnels très éclairés m’ont réellement montré que pour l’usage que je voulais en faire : couleur et agrandissement en 40×50, le numérique était au point.
Curieux par nature je suis ouvert à la nouveauté. Non par ce qu’elle représente mais par ce qu’elle peut apporter. C’est aussi un excellent moyen de se remettre en question et ainsi partir sur des bases différentes. C’est l’évolution continue.
Comme d’habitude excessif dans mes actions, ne supportant pas de faire les choses en butinant, sans approfondir j’ai décidé en 2007 de me mettre au numérique avec l’objectif d’avoir des résultats aussi bon que ceux que j’aurais pu obtenir en argentique couleur.(Le N&B étant à cet époque inaccessible en qualité). Je ne me doutais pas que l’aventure allait être aussi passionnante, au combien enrichissante, et beaucoup plus complexe que prévu par certains aspects.
Je connaissais mes besoins en matériel :
• de prise de vue, mais le choix n’était pas fait : un appareil photo, mes trois focales habituelles (28 ; 50 ; 90).
• ordinateur qui me permette de travailler rapidement.
• un processus de stockage.
• un écran
• une imprimante car je ne conçois la photo que sur un support imprimée pour être exposée ou offerte.
L’appareil
Me procurer un nouveau système ou poursuivre avec celui existant ? J’ai été très surpris par la quantité de nouveautés qui sortaient (et cela continue), moi qui était habitué au matériel qui durait, robuste, performant, j’étais complètement déstabilisé.
ça m’a pris 5 mois pour me décider.
Combien de pixels pour mon besoin? Agrandissement en 40×50 maxi, tous les spécialistes du moment s’accordaient à dire que 10 millions étaient suffisants et insistaient sur la taille du capteur et par voie de conséquence sur la taille des pixels. Bon, il ne faut pas sortir de St Cyr pour comprendre que plus le pixel est gros plus il y a de lumière qui peut l’atteindre.
Quels objectifs pour avoir le même rendu que ceux dont je dispose. Au niveau de la prise de vue, j’exploite au maximum la notion de profondeur de champ, il me fallait des objectifs qui ouvraient en grand et je suis opposé à l’usage des zooms pour trois raisons : la première est que même s’ils sont plus performant que par le passé ce ne sont que des compromis. La deuxième c’est qu’un zoom conduit à une certaine passivité : c’est la focale qui bouge et non plus le photographe. Personnellement j’aime bien tourner autour d’un sujet. Et la troisième c’est aussi une certaine paresse : je sais me servir de ces optiques fixes.
Ensuite, puisque je souhaitais continuer l’argentique est venu la question du poids. Changer de système me faisait doubler le poids et le volume à transporter.
Tous ces facteurs m’ont conduit à ne pas changer de système et ne pas prendre l’archétype du top de l’appareil numérique (plein format, haute vitesse, stabilisation et j’en passe).Non, un appareil un peu à part : peu d’automatisme, mise au point manuelle, malheureusement très cher et paradoxalement à faire des économies !! Quand vous avez déjà les optiques, il ne vous « suffit que » d’un boîtier.(ça c’était l’argumentaire pour mes proches ;).)
L’ordinateur. Là ça a été hyper simple, j’en avais déjà un, je l’ai dopé un peu.
L’affichage. Pour l’écran je m’y suis pris à trois reprises. J’ai changé le 17 pouces pour un 20 pouce moyen de gamme pour avoir une surface d’affichage plus importante. Et la troisième fois j’ai pris un bon écran, mais un vraiment bon. Je peux vous dire que les photos affichées ont changé d’allure !! Ce n’était enfin plus des photos faites par un instamatic. On achète des appareils ultra performants en capture d’information mais, pour les regarder, on essaie de faire au plus économique. C’est une aberration. Vaut mieux que l’ensemble de la chaîne photographique soit de même niveau.
Le stockage et le classement :
Le classement, comme mes négatifs : par dates et par sujet (mots clefs). Le stockage sur deux disques durs externes mis en service uniquement à chaque sauvegarde.
L’impression : j’ai lu les essais sur différentes revues françaises et étrangères et j’ai pris le modèle A3 (pour faire mes 30X40, le 40X50 sera pour plus tard sûrement) qui correspondait le mieux à mon besoin supposé.
Et puis j’ai fais mes premières prises de vue, et là, surprises et déceptions !! Le numérique c’est tout une aventure et il y a au moins à apprendre autant de chose que lorsqu’on devait développer ses films et faire ses agrandissement. Je ne vais pas développer la technique, je pense désormais la maîtriser. Mes collègues chroniqueurs spécialisés écrivent sur ce site régulièrement sur ces sujets, et bien mieux que moi. J’aborde sommairement les points qui m’ont demandé le plus d’effort et surtout sur les points réellement déterminant sur la qualité et la facilité de travail (en dehors de la technique de prise de vue bien sûr, mais là c’est indépendant du passage au numérique !!)
Le premier traitement
Premières photos : mince, c’est de la couleur !
Je peux vous dire que ça surprend.
Pourtant quand je l’ai prise ça me semblait pas mal, bien contrasté, bonne lignes directrices. Là je ne voyais plus rien…..et si je la passe en noir et blanc. Ah bien voilà, c’est ce que j’avais vu…..
Et cela à chaque photo qui s’affichait : je me suis aperçu qu’en fait je prenais des photos pour un rendu noir et blanc !
40 ans de noir et blanc : prises de vue, et ensuite développement du film : apparition de la photo en noir et blanc, agrandisseur, noir et blanc, tirage, noir et blanc. Là aucune de mes photos ne me plaisait car ce n’est pas comme cela que je me l’imaginais apparaître. Bon, mon épouse m’a rappelé pourquoi je m’étais offert le numérique : pour la couleur.
Oui. Mais….
Une fois les premiers mois passés et ayant intégré que je devais faire de la couleur, je me suis amusé à regarder ces dites couleurs.
Mon entraînement initial sur celles-ci m’a tout de suite fait prendre conscience que ce que je voyais n’était pas ce que j’avais vu.
Même si la représentation de la couleur a un côté subjectif, il y a des limites : trop lumineux, trop clinquant, trop saturé, trop tout.
J’ai donc découvert les limites de la facilité du numérique.
La température couleur d’abord : en argentique on ne pouvait pas régler la température : on achetait un film lumière du jour ou lumière artificielle. Parfois on mettait un filtre coloré pour modifier la température, mais c’était très archaïque.
Là c’est du numérique, donc la température couleur se règle directement dans l’appareil, à la prise de vue. Oui, mais si l’appareil fait une erreur il faut pouvoir la corriger simplement et non couleur par couleur et oui, la température couleur agit en parallèle sur les trois composantes Rouge, Vert, Bleu de nos systèmes.
Ah bon, le capteur voit trois couleurs séparées et c’est le calcul, après qui donne la couleur vue ? Bah oui, sur le capteur, il a une matrice colorée au dessus de lui : deux carrés verts pour un carré rouge et un carré bleu. Donc on a une photo composée de carrés juxtaposés. Et pour les transformer en couleur représentative de ce qu’on a vu on utilise un logiciel de traitement soit interne à l’appareil (cas de la transformation directe dans un format JPEG) soit externe (logiciel de dématriçage).
Et le format tout traité le plus utilisé : le JPEG, c’est un format compressé. Donc si c’est compressé, on perd des informations. Non ? Pourquoi supprimer dès le départ des infos ?
Pour ces deux raisons j’ai décidé de travailler dès le premier cliché en format natif de l’appareil (RAW), au moins je garde toute l’information enregistrée (enfin presque toute car dès qu’on n’est plus à la sensibilité native du capteur, il y a un traitement fait par l’appareil, mais c’est un autre sujet que mes collègues chroniqueurs ont déjà développé).
Premier apprentissage : le développement du Raw : un bouquin (Volker), je n’ai pas trouvé de site web plus complet.
Mon logiciel de traitement (Capture One) il me demande de sélectionner mon espace couleur. C’est quoi cette chose.(en fait je savais déjà de par mon passé. C’est pour l’article, pour ne pas oublier que c’est trrrrrrrrrrrèèèèèèèèès important).
Deuxième apprentissage : lecture de tout ce qui traite des espaces couleurs et de la transformation du signal numérique (Delmas, les normes, les sites internets, et les t’chats car en 30 ans ça a quand même évolué tout ce petit monde de la couleur.)
C’est très important cette notion dès qu’on veut dépasser le stade de l’écran d’ordinateur et que l’on veut imprimer (quoi que cela ne devient plus vrai car les écrans arrivent à représenter maintenant plus que l’espace couleur sRVB initial ou Adobe98. )Je me suis aperçu de l’importance de cette notion en imprimant une image et en ne retrouvant pas toutes les teintes de l’écran et en en voyant d’autres.
L’espace couleur c’est tout simplement la capacité qu’a un système de reproduire la couleur. Cette reproduction est représentée dans un espace à trois dimensions.
La problématique est que l’espace couleur de l’appareil est différent de l’espace couleur de l’écran, lui-même différent de l’imprimante A et B, lui-même différent du papier brillant de la marque x, lui-même différent du papier brillant de la marque y, etc….
Relecture, choix d’un espace couleur et d’un seul dès le départ du traitement : Photogamut avg6, espace couleur qui arrive presque à être reproduit par certains écrans et par certaines imprimantes. Pourquoi un seul espace : parce qu’à chaque transformation sur un fichier on modifie l’information, et ce n’est pas parce qu’on revient en arrière qu’on revient sur l’information initiale.
Le second traitement
Ça y est, j’ai enfin transféré mes images de l’appareil à l’ordinateur, dans le logiciel de dématriçage j’ai ajusté la température couleur, l’exposition, diminué un peu le bruit numérique (cela dépend avant tout du traitement interne du boîtier. Sur le D700 pas besoin d’intervenir avant 2500iso, sur le M8 il faut intervenir dès 800iso), supprimé si nécessaire une dominante.
Toujours par peur de perdre de l’info je dématrice en TIFF, 16bits. Je bricole avec des petits logiciels (je ne fais pas de pub ?) permettant des modifications comme à l’agrandisseur (U point) et de la retouche de poussières. J’aplatis les calques et j’enregistre la photo. Je la ré ouvre et j’applique un calque d’accentuation que je peaufine avant chaque impression en fonction du facteur d’agrandissement et du papier utilisé. Et voilà, je suis prêt à imprimer.
L’impression
Première impression. Oups !! C’est crade : trop clair, les couleurs différentes de ce qu’il y a à l’écran, le piqué de ma photo est moins bon que ce que j’ai à l’écran, etc….. Bon, je dois vous avouer que ça c’était avant que je vous fasse ma description sur les espaces couleurs. Oui, bête, mais pas trop?. Que s’est-il passé ?
Simple :
• espace couleur non concordant à la capacité des supports : écran et papier. Conséquences : des couleurs sont affichées mais elles ne peuvent pas être imprimées et inversement.
• Luminosité de l’écran trop élevée ce qui conduit à descendre la luminosité de la photo affichée à l’écran. Lorsqu’on imprime, la sortie papier est sombre, ou l’inverse.
• Luminosité de l’écran différente de la capacité au papier à reproduire cette luminosité.
• Les gouttelettes d’encre mangent du détail, car même si elles sont très fines, elles ont tendance (et c’est normal) à diffuser un peu.
Troisième apprentissage : Retour dans les bouquins et lecture des normes. Ce qui est bien dans les normes c’est que cela vous guide pour avoir un résultat répétitif et standardisé.
Nouvel apprentissage : calibrage d’écran, réalisation de profil d’impression, simulation des couleurs imprimées (soft proofing) pour adapter le traitement de la photo avant l’impression pour que les couleurs soient les plus acceptables à l’impression (absence de cassure de ton par exemple.)
Maintenant ma recette pour une obtention d’une bonne qualité d’image numérique est éprouvée et je n’en change pas tous les jours.
Les ingrédients de cette recette sont :
• Prise de vue en raw
• Dé matriçage en TIFF avec comme espace couleur, celui de la totalité du travail sur la photo.
• Réglage de l’écran à 90cd de luminosité et 5500K de température couleur.
• Accentuation « moyenne » juste avant impression. Je dis moyen car je n’ai pas de valeur préconçue. Je fais cela sur l’écran, et c’est un peu comme à l’agrandisseur quand on fait un masque : avec l’habitude, cela se sent.
• Observation des photos imprimées avec un éclairage normalisé en température et en puissance.
En terme de qualité mes photos ne sont pas ridicules, loin s’en faut. J’ai des couleurs dignes de ce nom.
3ans, c’est long me direz vous. Je ne trouve pas, je fais cela en amateur. C’est un peu la même durée qu’il m’avait fallu en argentique. Après, on s’améliore, on progresse toujours, mais c’est par petite touche. Le dégrossissage est terminé.
Et la prise de vue dans tout cela.
Eh bien je suis un incurable. Je les imagine toujours en N&B mes photos. Mais cela m’est égal, je les imprime en N&B désormais.
En trois ans les progrès ont été tels en logiciel et en impression que j’arrive à avoir de très bons résultats en valeurs de gris.
C’est sûr que c’est autre chose en termes de main et d’aspect, mais les valeurs sont là, mais ça ne veut pas dire que c’est moins bon ou meilleur. C’est autre chose.
Donc je continue le N&B comme avant et lorsqu’à l’ouverture du fichier (en couleur donc) la photo me plait, je la laisse en couleur.
Et il y en a de plus en plus.
Comme quoi la psychologie….
C’est simple le numérique ?